Riquet à la loupe, le feuilleton de l’été

titre_feuilletonV O Y A G E  E S T I V A L  E N  6  E T A P E S

INTRO

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« Je m’appelle Pierre-Paul Riquet, fils de Guillaume Riquet, notaire et homme d’affaires. Je suis né le 29 juin 1609. Mais on n’est pas totalement sûr de ma date de naissance. L’acte est, dit-on, introuvable. Pourtant, ma mère rangeait soigneusement ses papiers dans le secrétaire en amarante du bureau paternel…

Il est difficile de parler de soi-même. Je crois cependant que les qualités qu’on m’a attribuées sont justes : j’aime le travail et ceux qui en ont le goût, je suis créatif et tenace, solidaire et solitaire.

J’ai rêvé, imaginé puis démarré la construction d’un canal qui joindrait la Méditerranée – qui m’a vu naître –, à l’Atlantique. J’ai consacré ma fortune à cet ouvrage qu’on nomme aujourd’hui Canal du Midi et qui va de Sète à Toulouse. Ce qui est sûr, c’est que je ne l’ai même pas vu en eau. Je suis mort un an avant, en 1680,… un premier octobre. Et ce jour a son importance, mais j’y reviendrai plus tard.

Il aurait fallu que je vive bien vieux pour voir enfin la liaison jusqu’à l’océan. Le Canal latéral à la Garonne fut inauguré en 1856. Si j’avais pu être là ce jour, j’aurais sans doute pleuré. Et je n’ai pourtant pas la larme facile.

Aujourd’hui, j’ai décidé de faire le voyage. Enfin. Pour voir ce que les hommes ont fait de mon idée, ici en Tarn-et-Garonne. Pour voir comment va la vie dans ce département qu’on doit à un certain Napoléon. Pour flâner et découvrir, ce que ne m’a jamais permis mon existence vouée au labeur et à la construction du Canal.

J’ai acquis la capacité à me rendre visible ou pas, à rencontrer et à matérialiser des êtres disparus qui partagent avec moi la passion du travail bien fait, à capter des instants magiques où le temps est suspendu… Mon voyage commence à Grisolles, porte d’entrée du Tarn-et-Garonne. Il finira dans quelques semaines à Valence d’Agen, et je pourrai alors, enfin j’espère, reposer vraiment en paix dans la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse.

Etape 1 : Grisolles

Peu de monde se souvient de la victoire franco-espagnole à la Bataille de la Goulette, le jour de ma naissance, et encore moins du décès du botaniste Charles de l’Ecluse quelques semaines avant. De l’Ecluse ?… Sans doute un nom qui a influencé ma vie, qui sait…

Mon siècle aura vu bien des avancées et connu de grands penseurs et artistes, mais aussi des guerres de religions meurtrières. Les vignobles du Frontonnais, qui comptent parmi les plus anciens, n’ont pas été épargnés par la tragédie de l’Histoire. Je suis heureux de voir ce matin que la route qui me mène à Grisolles, première étape de mon périple, est bordée à nouveau de ces vignes qui fournissent la négrette. C’est ce cépage fin et délicat, aux arômes subtils de violette, de fruits rouges et de réglisse, qui donne aux vins de Fronton leur personnalité et leur charme.

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Je me serais bien attardé sur le chemin pour goûter aux vins de cette terre, mais il me tarde de voir ce que j’ai si ardemment souhaité et que d’autres ont bâti. Maîtres d’œuvres, contremaîtres, ouvriers, votre travail qui a permis la jonction de la mer à l’océan est connu du monde entier. Je sais, je m’enflamme, j’exagère, je subodore ! Avec ma passion en héritage, votre notoriété a du traverser l’Atlantique. Il se dit qu’on parle de vous en termes élogieux sur le continent américain. Quel plaisir !

Encore quelques centaines de mètres et là, en bas des coteaux, je te découvrirai par le pont qui ouvre la ville. Mon spectre prendra ta lumière, et l’eau de la vie coulera en moi…

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Enfins aqui-lo meu arriala ! Te voilà mon Canal de Garonne ! Ici, tu es une ligne droite et fière qui pénètre en terre tarn-et-garonnaise. Entre les fleurs qui saluent ton passage, je prends le temps de t’admirer. Certains petits bateaux semblent s’y reposer, d’autres filer par l’effort de coups de rames cadencés, rien à voir avec les barges d’antan qui pouvaient transporter vins et céréales. Mais on sent ici une quiétude particulière, qui doit être un bonheur pour ceux qui savent prendre le temps et apprécier les trésors de la vie. Oubliée la sueur des travailleurs qui ont œuvré à ta construction, ne doivent transpirer ici que ceux qui se laissent surprendre par le soleil qui tape en milieu de journée.

La voie d’eau est longée par une voie de fer, celle-la même qui a du mettre fin, c’est sûr, au commerce fluvial auquel le Canal était destiné. De l’autre côté, une voie de pierre et de terre semble propice à la ballade. D’étranges petites machines à deux roues s’y promènent et transportent leurs passagers uniques, tête dans les épaules, à la recherche de vitesse. Ou encore tête haute, en quête de surprises et de parfums nouveaux.

Mon voyage ne fait que commencer, mais il faut que je m’approche. Personne ne peut me voir, enfin je crois, et c’est une aubaine pour mon exploration estivale. Découvrir sans être découvert…

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Raté ! Je ne suis pas aussi invisible que cela. Bizarre… La présence sur ce bateau de cet homme, sorti d’une autre époque — ni la mienne, ni celle de ce siècle —, est aussi étrange que la capacité d’un homme mort au XVIIème siècle de se promener librement trois siècles plus tard, sur le lieu qu’il a choisi au moment où il l’a désiré. Oui, je suis mort un premier octobre, 330 ans jour pour jour avant l’événement qui marquera la commune, le département, le pays, que dis-je, le monde… Je sais, là encore, je m’enflamme. Mais après le succès du premier festival du jeu en Tarn-et-Garonne en 2009, les organisateurs ont décidé de renouveler l’événement ici, en face même de ces plaisanciers curieux, à Grisolles. En tout cas, c’est ce que racontent ces bateliers modernes. On voit bien que tout est lié : mon destin, ce Canal, le jeu. A mon époque, on pratiquait dans les salons le jeu de la lettre ou du corbillon, les plus jeunes s’adonnaient aux billes et aux osselets. Le jeu a bien évolué. Sa richesse et sa diversité en font un loisir épatant. Et ce serait une belle idée de donner à un jeu le thème de la construction de ce Canal… Mais je m’égare. Qui pourrait oser un tel jeu ?

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Ma curiosité me pousse jusqu’au cœur de la ville. La halle métallique est de style Baltard et date de 1894, je me suis bien renseigné. La place est bien plus petite qu’autrefois, mais le bâtiment n’a pas changé. Il accueille tous les dimanches un sympathique marché de producteurs bio et régulièrement dans l’année des manifestations ludiques qui réunissent toutes les générations grisollaises. Décidément, cette petite ville me plaît beaucoup. Et je sens que je ne suis pas au bout de mes surprises.

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Derrière l’église, une maison à colombage aussi ancienne que moi abrite un lieu étonnant : le Musée d’Arts et Traditions Populaires créé en 1938 par Théodore Calbet. L’endroit propose un grand nombre de collections liées aux différents aspects de la vie quotidienne régionale et semble intéresser celui-là même que j’ai rencontré il y a quelques instants sur le Canal.

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Yvan, le fougueux et imaginatif maître des lieux, aime apporter un éclairage original sur l’ensemble des thématiques portées par le musée. Pendant cette période estivale, les différents espaces sont ouverts à la création graphique avec l’affichiste et illustrateur Ronald Curchod. “Un geaimissement” — c’est le nom de cette exposition sensible imaginée par l’artiste suisse — provoque un autre regard des visiteurs et fait émerger des rencontres improbables. L’autre visiteur du jour semble interpelé par l’œuvre contemporaine au centre des objets usuels organisés et témoins de son temps. Etonnant, oui…

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Tout aussi étonnant de découvrir au milieu des objets liés à l’industrie du balai de paille de sorgho, qui se développa à Grisolles au XIXème siècle, ce portait de notre curieux homme. Ce voyage ne sera pas ordinaire. A mon tour d’être le témoin d’époques que je n’ai pas connues de mon vivant. La tradition a du bon surtout quand elle sait s’ouvrir aux autres cultures. Pour créer d’autres histoires. Pour inventer sur d’autres terrains de jeux.

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Je laisse à regret derrière moi la charmante Grisolles, ses demeures anciennes, son Château de Fontanas. Un dernier regard vers cet ensemble rural très majestueux dont les descendants des premiers habitants ont sans doute suivi la construction du Canal, et je glisse vers Montech, seconde étape de mon voyage.

Etape 2 : Montech

Je décidai de faire les dix huit kilomètres qui me séparent de Montech — prononcez Montèche — par la route. Je traversai les villages de Dieupentale, Bessens ou encore Monbéqui, sans oublier de profiter de la fraicheur de la forêt domaniale, pour arriver dans cette jolie ville qui naquit au XIIème siècle.

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Montech — prononcez Montèche — réserve bien des surprises à qui sait lever la tête. Rue Lafargue ou rue des Pénitents, on devine ce qu’était la ville à son origine. De magnifiques demeures en briques roses ou des maisons à colombages témoignent du développement économique que connut Montech — prononcez Montèche, mais c’est la dernière fois que je vous le dis ! — et de la richesse architecturale de la cité.

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Bien que peu avenante, une fontaine, à laquelle je me désaltère, me rappelle combien l’eau est importante dans cette région de fleuves et de rivières. Le Canal de Garonne traverse Montech et sa construction deux siècles après ma “disparition” a conforté les activités industrielles des lieux, tout comme je l’avais pensé.

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L’hôtel de ville sur la Place de la Mairie — c’est original — est particulièrement beau et majestueux, mais bien moins pompeux que les constructions qu’affectait mon Roi. Je posai un regard amusé sur une petite boutique de jeux au nom directif de “Pose ton pion” puis je pénétrai discrètement dans l’authentique demeure communale, faisant grincer portes et planchers, pour m’attarder devant un écrin qui retint rapidement mon attention. Sous une coque transparente, je découvrai la maquette d’un ouvrage que je n’avais même pas imaginé possible : un bateau de commerce sur un terrain pentu suivi de près par deux engins sur roues équipés ensemble d’une sorte de raclette géante. La Pente d’eau de Montech, quel bel ouvrage ! Sans perdre plus de temps — il est fort peu probable que mon acte de naissance fut caché ici —, je me rendai en direction du Canal.

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A l’Ecluse de Lavache, aucune trace de bête à cornes, mais un bateau vide et rouillé, dont les fonctions m’échappent, flotte là, tranquille…

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Plus loin, à l’endroit précisément où se partage le canal pour quelques choix de voyage, je fais une rencontre. Sous l’ombre grandissante de la cheminée de l’ancienne papeterie, elle hésite et me sourit. Elle m’a remarqué, la jolie voyageuse à deux roues. Ira-t-elle vers Montauban, la ville d’art et d’histoire, ou vers la suite du Canal qui la mènerait à l’océan ? Attends-moi, je reviens de suite. Tu me raconteras ton aventure, je te conterai mon siècle… Quelques voix au loin me laissent à penser que j’approche de l’ouvrage d’art.

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Décidemment, je ne suis pas seul à traîner ma dégaine… L’homme est sur mes pas, à moi que ce soit moi qui suis sur les siens… Il s’est déjà mêlé à la conversation de promeneuses curieuses. La plus grande parle avec un accent improbable. Les mots sortent de sa bouche, comme mélangés à une pâte à mâcher collante et indigeste : “A forche de montech et déchendre, encore montech et déchendre, toujours montech et déchendre, elle ch’est fatiguée la pente d’eau… Chi, chi, je vous l’dis !” Et lui de répondre, imperturbable, comme un puits de sciences : “Très chère Madame, je comprends… Mais ce fut une idée de génie que la création, parallèlement au canal, d’une rigole artificielle épousant la pente naturelle du terrain. Deux engins automoteurs de forte puissance, équipés d’un masque étanche poussent en montée et retiennent en descente, un triangle d’eau sur lequel flotte un bateau. Ce système original, unique au monde à l’époque de sa construction, assurait le passage des bateaux en vingt minutes, soit un gain de temps de quarante cinq minutes environ par rapport aux cinq écluses traditionnelles sur le canal. Mais je vous le concède, chère Madame, l’entretien d’un tel ouvrage est coûteux, la machinerie fatigue et la remise en état de fonctionnement tarde un peu…”

Mais comment sait-il tout cela ? Il est impossible que cet homme, fusse-t-il un maître d’œuvre émérite, puisse connaître aussi bien un ouvrage d’art construit près de cent ans après la réalisation du canal sur lequel il semble avoir travaillé ! Le secret est ailleurs…

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Quel étonnant ouvrage, en effet. Difficile de ne pas remarquer ces engins bleus et blancs, solides et droits, prêts à déplacer plaisanciers et bateliers sur l’eau, à plus de treize mètres de hauteur. Il n’y a pas de chevaux pour tirer ces machines sur roues, quelle force peut bien les mouvoir ?

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Je me verrais bien monter sur ces bêtes cuirassées et les mener au combat des bateaux face à la colline ! Vaillante machine, pousse l’eau et porte mon embarcation sur le sommet que je puisse vers Toulouse plus prestement naviguer ! Les envolées lyriques sont aisées sur le Canal de Garonne et voici maintenant que me poussent des ailes, me voilà prêt pour faire battre les cœurs ! Tel le pigeon voyageur retrouvant sa blanche colombe, je viens vers toi, ma jolie voyageuse du Canal !

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Ah, en un instant, mon élan est brisé. Maudit maître d’œuvre qui a su de mon absence profiter ! A peine avais-je la tête tournée à m’émerveiller sur le travail de mes contemporains qu’un de ceux que je croyais en quête de devenir mon digne héritier me volait la place !… Mais où ai-je la tête ? Le temps n’est pas à compter fleurette, je suis là pour découvrir le Canal de Garonne, véritable objet de mon désir !

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Adieu Montech, au revoir dame du bord de l’eau, je repars, un pincement au cœur mais la tête emplie d’images montéchoises. La cité montalbanaise et le Tarn sont au bout de ce canal de onze kilomètres, troisième étape de mon voyage.

Etape 3 : Montauban

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On sent dès l’arrivée au Port-Canal de Montauban tout le travail qui a été produit ici et en amont, à chacune des écluses traversées — Dois-je vous rappeler que mon état spectral me permet toutes les fantaisies dans mes déplacements ! —, pour donner à cette partie du Canal une nouvelle existence. Je n’ai pas imaginé que le tourisme fluvial puisse ainsi se développer mais c’est un fait, j’ai croisé de bien jolies petites coquilles depuis Montech.

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En quelques minutes, je rejoignai le cœur de Montauban, classée ville d’art et d’histoire. Comme à Toulouse, la brique rouge est présente partout. Comme de nombreuses villes du Sud-Ouest, ses rues se coupent en angles droits pour définir une place centrale rectangulaire. Comme les anciennes bastides de cette région, l’harmonie des façades n’a pas d’égale ailleurs. Je restais nostalgique à contempler en aplomb du Tarn le palais épiscopal construit en 1664, alors que la construction du Canal était ma seule préoccupation. Le lieu qui vit l’édification de ce bâtiment était déjà chargé d’histoire à mon époque. En lieu et place, un palais fut occupé par le Prince Noir pendant la Guerre de Cent Ans. On dit que plus récemment, cet ancien hôtel de ville y accueillit quelques artistes célèbres et qu’aujourd’hui le lieu est un musée. On dit aussi qu’une célèbre toile d’un artiste italien — son nom me reviendra — fut caché ici au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Une guerre mondiale ?!? Effrayant ce que peuvent engendrer les hommes…

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Je traversai le Pont Vieux, un vestige massif et élégant du XIVème siècle pour une balade historique et dense.

On parlait pendant ma jeunesse de ce qui apparaissait déjà comme un mythe : les 400 boulets qui auraient touché le clocher de l’église fortifiée Saint-Jacques lors du siège de la ville par Louis XIII. Ha ha ha ! Comment un tel édifice aurait-il pu supporter une telle quantité d’impacts et rester debout. Certes, on aperçoit quelques stigmates mais enfin…

Mon Roi voulait montrer l’étendue de son pouvoir. Il ordonna la construction dans cette ville d’une cathédrale différente, en pierre. Etrange au milieu de cet ensemble architectural, dominé par la couleur chaude de la brique. Mais Louis XIV était habité par le droit divin. C’était le monarque absolu. Pas facile tous les jours pour Colbert et les autres !

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Cruelle destinée que celle d’Olympe de Gouges, femme de lettres, femme politique et grande humaniste. Née à Montauban, elle fut guillotinée à Paris en 1793. La ville ici a donné son nom à un magnifique lieu d’expression, un théâtre construit de son vivant à elle…

Une muse lui fait face et rend un hommage vibrant et musical à celle qui s’était battue pour le droit des femmes et qui fut condamnée au nom des droits de l’homme !

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Il faisait chaud. J’étanchai ma soif à la bouche d’une femme rieuse et espiègle, imperturbable gardienne des lieux. Un peu de fraicheur utile et agréable qui me rappelait encore et toujours l’objet de ma quête tarn-et-garonnaise. Mais cela valait une telle étape, et je décidai de poursuivre ma visite silencieuse et curieuse.

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En 1649, je n’avais pas encore acheté la propriété de Bonrepos près de Verfeil au nord de Toulouse et un terrible incendie ravagea le Place Nationale de Montauban. Heureusement, à la fois cœur et poumon de la ville, elle fut rapidement reconstruite, notamment sa double rangée d’arcades voûtées sur croisée d’ogives.

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Mais bien sûr ! La Joconde de Leonardo da Vinci ! Voici l’œuvre qui fut dissimulée aux yeux de l’occupant allemand à Montauban ! Comment une échoppe peut-elle la proposer ici sur cette place avec aussi peu d’égard ? Et par quel miracle ce sarcophage égyptien a-t-il pu arriver dans ce lieu ?

L’art et la culture méritent les plus beaux musées ! Je décidai donc de découvrir l’imposante bâtisse au bord du Tarn.

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Mon sens de l’orientation me fait parfois défaut. Peu importe, cela me permettait de découvrir cet ancien Collège, magnifique, tout de brique rouge vêtu.

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Bonjour Monsieur Jeanbon de Saint-André ! Un autre fantôme hante les lieux et regarde avec attention la statue qui lui est consacrée. Ce natif de Montauban fut à la fois pasteur et révolutionnaire, plus connu pour ses actions en politique que ses talents de marin… La Révolution Française ! Mon Roi doit se retourner dans sa tombe !

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Ce centaure mélancolique m’indique sans doute que j’arrive au musée. Si le Canal latéral à la Garonne — celui qu’on appelle désormais Canal de Garonne — fut inauguré en 1856, le célèbre sculpteur Antoine Bourdelle naquit en 1861 à Montauban. Aucun lien, me direz-vous ! Certes oui, mais c’est pour m’éviter d’oublier pourquoi je fais ce périple. Tant de choses à voir me font parfois perdre le fil de mon voyage…

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Antoine Bourdelle, donc, a une part importante dans l’intérêt du Musée Ingres. Auguste Rodin lui-même, qui l’accueillit dans son atelier, admirait son travail. Héraclès archer : le plâtre du sculpteur est une merveille ! On sent avec intensité la détermination et la force du héros de l’antiquité, et… Non, ce n’est pas possible ! Il me cherche le bougre ! Désolé de retranscrire ici ma réaction viscérale face à la rencontre une nouvelle fois de celui que je pensais avoir abandonné à Montech. Construire le Canal à ma place ne te suffit pas ?!? Il faut que je te trouve partout où l’émotion me gagne. Vite changeons de salle ou quittons ce musée ! Dommage de devoir interrompre la découverte des lieux, les collections de Jean-Auguste-Dominique Ingres, un autre artiste montalbanais, m’intéressaient grandement. Bon, de toutes façons, la toile représentant Madame Moitessier assise et que l’artiste réalisa au moment même de la mise en eau du Canal, n’est pas ici. Je n’irai pas jusqu’à Londres pour essayer de voir si les yeux de cette charmante font d’aussi beaux reflets que ceux du Canal de Garonne quand le soleil est à son zénith !

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Je descendai jusqu’à l’immense Salle du Prince Noir. La pièce y abrite un banc de torture… Je pourrais toujours y attacher l’homme s’il s’obstine à me suivre, ou le brûler dans une des deux cheminées du XVème qui s’y trouvent ! Non, il est encore là, plus arrogant que jamais ! Il fume près de l’âtre. Mais c’est qu’il est bien élevé en plus ! Mais qui peut-il bien incommoder ? La salle est vide… Je tournai les talons, courant vers la sortie, comme si j’avais vu un fantôme. Quelle ironie !

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Tout cela pour me retrouver dans une pièce dissimulée, un musée dans le musée : la salle des maîtres d’œuvres. Celle que personne ne peut visiter. Fermée à double tour. Oubliée ou cachée. Quel incroyable secret voudrait-on tenir ici ? Le plus grand maître d’œuvre de la construction du Canal de Garonne serait-il parent de l’artiste Ingres ? Des huiles épatantes, des portraits uniques, des tableaux étonnants couvraient les murs décrépis de l’endroit…

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Des centaines de dessins, croquis, lavis (…) n’en avaient que pour lui. Lui jeune, lui vieux, lui avec ses conquêtes, lui avec ses chiens, lui avec son cheval, lui avec son vin… C’en était trop. Je fermai les yeux, et en un bref instant…

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Je me retrouvai dans les nuages, la tête à l’envers — à bien des égards —, survolant le Tarn et le Canal et laissai derrière moi Montauban pour dériver, poussé par le vent, vers Castelsarrasin, ma prochaine étape.

Etape 4 : Castelsarrasin

La route vers Castelsarrasin — ou plutôt le ciel — fut un enchantement. Les champs cultivés formaient un damier infini aux couleurs de céréales et de légumes. Colza, sorgho, maïs, tournesol (…) donnaient vie à cette terre agricole. Des vergers aux arbres généreux s’étendaient largement pour dessiner d’autres terrains de jeu.

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En redescendant vers la terre ferme, je me prêtais à quelques acrobaties aériennes avec d’autres habitants respectés de cette campagne. Les pigeons sont très liés à l’histoire de cette région et les pigeonniers qui se dressent au milieu des cultures, aux quatre coins des fermes, dans les villages ou au cœur des villes sont une expression de la richesse patrimoniale de ce territoire. Les pigeonniers que j’avais pu survoler jusqu’alors proposaient une architecture variée à l’infinie, tout en conservant la tradition du terroir, notamment par les matériaux tels la brique ou les galets.

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A proximité de Saint-Porquier, je m’arrêtai pour détailler un de ces petits bâtiments majestueux encore préservé malgré l’usure du temps : un pigeonnier tour carrée surmonté d’un toit pyramidal type queue de vache, avec un bel épi de faitage et une lucarne ouverte, une randière en briques plates pour l’envol des oiseaux — j’ai toujours impressionné mes amis par mon vocabulaire technique —… Des traces de crépi à la chaux… Un œil-de-bœuf au-dessus de l’accès au…

Ventrebleu ! Le vilain est encore là. Il me toise. Sa présence silencieuse doit avoir un sens. Il ne peut en être autrement. Depuis le début de ce voyage que je croyais solitaire, il est toujours sur mon chemin. Faire comme s’il n’était pas là. Ignorer sa présence. Il se lassera, c’est sûr…

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Je rejoignis Castelsarrasin — dont le nom bien que signifiant « Château construit à la manière des Sarrasins » est bien étrange si on sait qu’aucune occupation arabe n’est connue dans la région —, pour un court arrêt au pied de l’église Saint-Sauveur. Mentionnée dès 961, l’édifice actuel fut construit au XIIIème siècle et survécut aux guerres de religions. Si je l’écris ici, c’est que rares furent les églises qui traversèrent cette période sans être détruites. La tour-clocher de forme octogonale domine l’ensemble bâti en briques du type d’architecture premier gothique. A l’intérieur, du mobilier et des boiseries m’auraient sans doute rappelé ma rencontre avec l’architecte Louis Le Vau, un autre passionné de mon époque, mais j’avais envie de voir ce que le Canal racontait par là…

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Castelsarrasin vit naître au XXème siècle un troubadour appelé Pierre Perret. J’aurais aimé rencontrer l’auteur qui maîtrise les subtilités de la langue française mais l’homme a quitté la ville depuis bien longtemps. On parle plus ici du Sieur de Cadillac, né à quelques jours près en même temps que ma fille Anne, et qui partit fonder la ville de Boston. J’ai récupéré une vieille carte postale qui montre l’influence de certains maîtres d’œuvres dans la région — Pfff ! — mais aussi que le port sur le Canal a bien changé en quelques décennies.

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Ma curiosité me poussa à observer ces bateaux tous différents et totalement inconnus de mon siècle. Rosa — ce nom me disait quelque chose — était arrimé, dans l’attente de ces passagers. Moi-même, je n’étais qu’un passager de ce lieu et je ne pouvais finalement m’attarder davantage.

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Je sortis ma carte sur laquelle j’avais tracé mon projet de liaison de la Méditerranée à l’Atlantique. Moissac est toute proche. Je devrais l’atteindre rapidement par le Canal et le pont-canal au-dessus du Tarn. Et voir ainsi les prouesses techniques des hommes qui ont œuvré ici. Dis, Môssieur le Maître d’œuvre qui hante mon voyage, c’est bien pour cela que tu me suis ou me précèdes ? Je commençai à comprendre…

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Le Canal est magnifique sous le soleil estival. En fait, le Canal est beau tout le temps. Dans le Sud-ouest, chaque saison a sa propre lumière, ses couleurs particulières, ses ambiances et ses parfums… Tiens, on dirait que la péniche Rosa a quitté son port d’attache…

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J’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène : une boîte de jeu — Arriala, quel joli nom ! — sur le sol à côté d’une écluse, le capitaine du bateau qui se fait remettre l’objet par un petit homme coiffé d’un chapeau de paille, des passagers verre à la main tout excités de leur voyage…

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Je laissai partir la péniche-hôtel pour une revue technique de l’écluse. Des écluses à sas comme celle de Castelsarrasin, il y en a 32 sur la partie tarn-et-garonnaise du Canal de Garonne et le canal qui va de Montech à la descente vers le Tarn à Montauban. L’invention est italienne, mais ce n’est pas le génial Leonardo da Vinci qui est l’inventeur de ces ouvrages, ce sont deux ingénieurs transalpins au XVème siècle. L’artiste mit cependant son ingéniosité au service du perfectionnement des écluses et Hugues Cosnier fut le premier à mettre en œuvre ces ouvrages à vantaux sur le Canal de Briare, au moment même où je naissais. Non, il n’y a pas de hasard. Ce n’est pas un hasard non plus si cette invention qui permet de franchir facilement les dénivelées naturelles est encore largement répandue. La Renaissance fut vraiment une période exceptionnelle de renouveau dans les techniques !

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Et tout ingénieur que je pouvais être, je reste tout petit à côté des inventions et des aménagements techniques qui permettent à ces écluses de fonctionner et au Canal de Garonne de porter des bateaux qui avancent sans la force des chevaux ou des hommes.

Un bateau glisse ainsi vers Moissac et a pris un peu d’avance. Rosa, ton nom sonne comme une danseuse andalouse… Désolé, un rien m’émeut. Moissac, j’arrive !

Etape 5 : Moissac

J’avalai la courte distance entre Castelsarrasin et Moissac en moins de temps qu’il faut à un cheval au galop pour joindre le cœur de Paris depuis le Château de Versailles. Le Canal est particulièrement beau sur cette partie de son tracé. J’avais hâte de voir l’ouvrage qui permettait au Canal de Garonne de franchir le Tarn, un affluent capricieux du fleuve Garonne.

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Trois cent cinquante six mètres de briques de Toulouse et de pierres du Quercy : l’ouvrage d’art construit au XIXème siècle sur le modèle du pont Napoléon par l’entrepreneur Pierre Causseran sous la direction de l’ingénieur François Terrié, est d’une rare élégance. Le pont accueillit également les trains lors de la grande crue de 1930, pour pallier à l’indisponibilité du pont ferroviaire parallèle, c’est dire combien ces maîtres d’œuvre de l’époque ont fait de la belle ouvrage !

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Je remontai vers le chemin de halage pour mieux me rendre compte encore de la qualité de la construction. Pas de bateau en vue ! La Rosa était déjà passée, mais une autre fleur marchait sur la pierre solide et fatiguée du pont. Sa fraicheur contrastait avec la fatigue apparente d’un ouvrier d’un autre temps. Tout semblait opposer ces deux êtres de passage et pourtant, leurs regards se croisèrent. Elle, ses petits sacs à amplettes, et lui, ses gros sacs amplis de chasselas. La raison gagna l’homme, à moins que ce fût le raisin. Il passa son chemin. Le cépage blanc de Moissac méritait bien toute son attention. Moi aussi, il me faudrait faire un détour par les vignes.

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Mais pour l’instant, je souhaitais surtout arriver à Moissac avant la grande Rosa. Le Canal rejoint le Tarn à quelques mètres seulement du Moulin de la cité uvale, et j’avais en quelque sorte rendez-vous.

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Le Tarn est navigable et c’est un autre voyage qui est proposé aux bateaux qui arrivent par là, délaissant le Canal tranquille. La pénichette attendue arriva pile à l’heure, avec à son bord un équipage gagné par la nonchalance et une oisiveté sans doute bien méritée. L’embarcation avait elle aussi gagner le droit de voguer sur d’autres eaux, Rosa malgré son âge avait fière allure.

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Je me rendis au cœur de la cité. Moissac possède notamment, avec le portail du XIIème siècle de l’ancienne église abbatiale Saint-Pierre, un des chefs d’œuvres de la sculpture romane.

Si bien que c’est à peine si je vis dans un premier temps le portrait qui prenait le frais sous l’arbre accueillant. L’imposant édifice, dont le clocher-porche rappelle aux visiteurs la longue histoire du lieu, m’appelait à son tour. Je ne me rappelle pas si je fus un homme de foi, mais on ne peut rester insensible à l’exceptionnel ensemble sculptural qui interprète la révélation divine. Le tympan présente avec force de détails et de précisions l’ascension vers un idéal, raconte la rédemption des âmes par la croyance, la prière et la pénitence, pour l’accès à la Vie éternelle. Le Christ trône ici en majesté. Cette même posture semble finalement animer le portrait de l’homme, devant son ouvrage qui restera pour les générations futures. Certes sans la même portée ni le même message. Sans l’expression du sacré.

Mais chacun doit pouvoir accomplir quelque chose ici bas pour donner du sens à sa vie. L’un cultivera la terre en la respectant, l’autre construira un Canal en respectant les hommes qui l’accompagneront dans cette tâche.

Après quelques minutes d’observation de la sculpture romane qui inspira l’écrivain et aventurier contemporain André Malraux dans sa réflexion sur l’art sacré ou encore quelques  historiens de la musique devant la représentation de multiples instruments à cordes, je me décidai à entrer dans les lieux.

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Consacré en 1063 par le pape Urbain II, l’église a été modifiée à l’époque gothique. Ainsi, les ouvertures en arcs brisés font entrer largement la lumière dans l’édifice. Les parois peintes restaurées à l’identique du XVème siècle contribuent à la luminosité de l’intérieur. Entre le mobilier Renaissance, les statues en bois dorée, les vestiges de l’autel ou encore le vitrail de Marc Chagall, l’éventail de productions artistiques est des plus intéressants. La présence en ce lieu épargné et sacré d’un tableau que je commençai à bien connaître ne pouvait être qu’un clin d’œil qui m’était destiné. Je ne pus m’empêcher de sourire face à tant d’efforts pour me plaire.

cloitre

Le cloître de l’Abbaye Saint-Pierre est un véritable trésor de l’art roman. Les galeries bordées de colonnes aux chapiteaux somptueusement sculptés distribuent sur des salles aménagées en espaces d’exposition. La renommée de ce lieu est justifiée, la finesse et la diversité des chapiteaux rappelle les manuscrits et enluminures produites au XIème siècle. La recherche stylistique et le souci de composition esthétique de cet univers spirituel devaient être propices à la méditation des moines qui occupaient l’abbaye.

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Des piliers aux angles de la galerie portent des plaques de marbre finement sculptées, contemporaines des chapiteaux, et représentent les apôtres. Parmi eux, je crus reconnaître Saint Jacques le Majeur. Ce n’était pas étonnant, puisque Moissac est une halte historique sur les chemins de Compostelle.

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Les milliers de pèlerins, qui font le voyage chaque année par la Via Podiensis et font étape ici, y trouvent sans doute de nombreux détails qui leur rappellent leur quête spirituelle. Après Moissac, ils se retrouvent en traversant la Garonne à Auvillar, un des plus beaux villages de France. J’y passerai moi aussi. Je me sens moins pressé de toucher au but de ma ballade le long du Canal de Garonne…

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Je sortis du cloître, songeur et reposé. Devant l’office qui happait les touristes pour la visite — à moins que ce fût pour acheter quelque jeu sur le Canal ! —, je m’amusai d’une autre présence, toute en rondeurs. L’art permet toutes les confrontations, comme le jeu d’ailleurs.

J’aurais pu encore visiter les quatre écluses du Canal qui traverse la ville, m’arrêter dans l’accueillant port, profiter du marché autour de la halle de la place des Récollets, m’adonner à la culture régionale au Musée moissagais dans l’ancien logis des abbés… mais j’avais faim ! Je croyais que mon état me priverait de cette sensation, mais non, j’avais faim ! Ou alors était-ce de la gourmandise ? Un soudain besoin de raisin me tirailla l’estomac : l’appel du Chasselas.

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On connaissait déjà le raisin à mon époque pour ses qualités diurétiques, pour sa capacité à faciliter la digestion ou éliminer les toxines. Particulièrement riche en vitamines et pauvre en protéines, le raisin chasselas est aussi un excellent antioxydant, recommandé pour prévenir les maladies cardiovasculaires. A ses vertus thérapeutiques s’ajoutent d’autres qualités pour le soin du corps et du visage. Mais je n’étais pas là pour une cure uvale dans cette station réputée ou pour danser au traditionnel bal des trieuses, je voulais simplement goûter au fruit doré qui se préparait doucement à être cueilli en septembre. Après quelques semaines de voyage, j’avais quand même droit à quelque plaisir simple !

Rassasié, je pouvais partir vers ma dernière étape, Valence d’Agen, par le chemin des écoliers…

Etape 6 : Valence d’Agen

Il y a toujours des choix à faire. Même pour un esprit qui vagabonde en quête de découvertes et de rencontres. J’avais décidé de ne pas prendre le chemin le plus direct vers ma dernière étape, pour mieux prendre mon temps et profiter de mes dernières heures autour du Canal de Garonne. Et si Saint-Nicolas-de-la-Grave méritait sans aucun doute le détour avec son château Richard Cœur de Lion, ses édifices religieux, sa halle en bois (…), je décidai de passer par Auvillar, un des plus beaux villages de France.

merles

La route ménage toujours ses surprises. Mon intérêt grandissait pour un petit patrimoine magnifique très répandu dans cette région : les pigeonniers. Il y en a vraiment de toutes sortes. Mais pourquoi diable y inviter des merles alors qu’on les a construits pour accueillir des pigeons ?

Cette blague ne fit rire que moi… Ô solitude ! Du lieu-lit Merles à Auvillar, il y a tout juste quelques kilomètres.

auvillar

Dès l’entrée, je fus rapidement séduit par le village du bord de la Garonne. Cet ancien oppidum gallo-romain fixé sur un éperon rocheux, et reconnu plus tard pour sa production de faïences ou la préparation de plumes d’oie pour la calligraphie, accueille les pèlerins du chemin de Saint-Jacques de Compostelle. J’évitai le passage par la grande porte sous la Tour de l’Horloge qui connaissait à cette heure une affluence incroyable. L’église Saint-Pierre, ancien prieuré bénédictin, est particulièrement belle. Normal, serai-je tenter de dire, puisqu’elle a été restaurée au XVIIème siècle et on savait mettre en valeur notre patrimoine à cette époque ! Vers la place de la halle, de vieilles maisons sur arcades ont un charme fou. J’oserai même cette formule que pourraient m’envier quelques troubadours : la brique, c’est chic !

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Je n’eus pas le loisir d’apprécier à sa juste valeur la halle elle-même au centre de la place triangulaire. La foule qui avait envahi le village s’était pressée sous la halle circulaire, laissant les retardataires à l’extérieur. Un… non, deux… même trois ! Trois maîtres d’œuvres au moins s’étaient mêlés au public, dans l’attente d’un discours ou de boissons pétillantes alcoolisées. J’ai toujours aimé les honneurs, mais beaucoup moins les réunions publiques. En plus d’en vouloir à ma notoriété, mon compagnon de route était-il un pique-assiette ?

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Loin de la foule, je jetai un regard ébahi sur le paysage que m’offrait Auvillar sur la Garonne et la plaine. Là-bas au loin, Valence d’Agen m’attendait. Un frisson parcourut mon échine transparente. Le bout du voyage n’était pas loin.

La descente fut vertigineuse. J’étais comme enivré de ce voyage dans cette belle et attachante région. Je repensai à chacune des étapes de ma ballade, un énorme sourire aux lèvres. Si bien que j’arrivai à Valence d’Agen sans m’en rendre compte.

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La ville possède trois magnifiques lavoirs, dont le plus ancien, nommé Del Théron, a connu des réparations dès 1661. Quand je vous disais que mon siècle savait prendre soin des belles choses…

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Je ne cache pas depuis quelques jours ma passion nouvelle pour les pigeonniers. Alors, quand l’occasion m’est donnée, je vais à la rencontre de ces petits édifices si charmants. Celui de cette place moderne se dresse comme un château pour enfants ou un lieu de dévotion. Restauré puis transporté depuis Clermont-Soubiran, ce pigeonnier sur piliers prouve tout l’intérêt de la population pour son patrimoine architectural.

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Je flânai dans la ville. Cette ancienne bastide construite en 1283 a connu bien des dévastations. La place carrée qui abrite la halle du XIXème siècle, était le cœur de la bastide et était entourée primitivement de jolies maisons sous lesquels les marchands étalaient leurs marchandises les jours de marché. L’église de style néo-renaissance propose un intérieur gothique rayonnant et quelques statues du XVIIème siècle parmi le mobilier récent.

Plus loin, au bord du Canal, les anciens abattoirs construits en 1882 ont été rénovés pour offrir une halte étonnante aux randonneurs, plaisanciers ou autres cyclistes.

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Voilà. Le Canal de Garonne, ouvrage magnifique et unique qui vaut tous les détours, poursuit ici son cheminement tranquille vers Bordeaux. Même si le canon menaçant de cette barge semble rappeler aux touristes sur l’eau qu’il est encore temps d’acheter le jeu Arriala à l’office du tourisme avant de quitter la partie tarn-et-garonnaise du Canal des Deux Mers… Et pour moi, l’heure de regagner ma dernière demeure dans la ville rose.

Mon voyage fut un bonheur. En quelques semaines de cet été 2010, j’ai rempli ma besace de souvenirs et d’images qui occuperont très certainement mes prochains siècles de sommeil. Si je garde une nostalgie de mon époque, je garderai aussi en mémoire la capacité des hommes de ce temps à entretenir les traces de leur histoire. J’ose simplement espérer qu’ils sauront préserver la terre aussi bien qu’ils protègent la pierre…

Epilogue

Le retour vers la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse fut une formalité. Un simple saut par delà les nuages et hop ! D’autant plus facile qu’il n’y avait pas de nuage ce matin-là au-dessus de la région. Et les grands esprits s ‘évaporent plus facilement sous les grandes chaleurs de cette fin août…

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Une dernière surprise m’attendait sur le parvis du grand édifice toulousain. Quelques uns de mes héritiers étaient réunis pour les festivités qui me sont consacrées. Quatre cents années se sont écoulées depuis ma naissance et on ne m’a pas oublié : c’est l’année Riquet ! Je reconnais évidemment le maître d’œuvre qui a multiplié les efforts et les apparitions depuis le début de mon voyage estival, et d’autres moins familiers… Moins familiers, ha ha ha ! Ils sont, paraît-il, mes descendants… Ce journaliste et animateur de télévision… ou cet autre écrivain également animateur de télévision… Mais au fait, c’est quoi la télévision ?

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La cathédrale Saint-Etienne est la seule église de Toulouse à avoir conservé ses vitraux d’origine. Son autre particularité est de proposer une architecture issue de différents styles et époques : la nef est romane alors que le chœur est gothique. Le retable de Maître-autel créé par Gervais Drouet, sculpteur de talent, date de dix ans avant ma mort.  Oui, les amis, je suis mort le 1er octobre 1680 et il est temps pour moi, de retourner parmi les miens…

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Des milliers de pieds ont sans doute foulé ma sépulture au cœur de ce monument, sans imaginer que je puisse dormir là. Tout comme des milliers de bateliers ou plaisanciers ont emprunté les canaux que j’ai construits ou imaginés, sans connaître mon rôle dans leur édification. Peu importe, j’ai enfin vu avec bonheur ce dont j’ai rêvé. J’espère que d’autres, bien d’autres, rejoueront la construction du Canal de Garonne, avec le même plaisir.

Adieu, j’ai mérité un peu de repos.

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